Fraternité difficile

« L’homme ne devient lui-même que dans la relation » (P. Jean Laplace, Jésuite) « Communiquer, bien vivre ensemble » sont des valeurs humaines laïques à partager, indépendamment de notre race, de notre religion etc. « Bien vivre ensemble », ce n’est pas « bien vivre entre soi » et, pour l’Eglise, le Pape nous met en garde : « La paroisse ne doit pas devenir une structure prolixe séparée des gens, ou un groupe d’élus qui se regardent eux-mêmes ». C’est à la périphérie que le Pape nous incite à aller : « Je préfère une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie sur les chemins qu’une Eglise malade de son enfermement qui s’accroche confortablement à ses propres sécurités ». Aller résolument vers l’autre qui n’est plus un étranger, qui n’est plus un concurrent mais celui à aimer « mon frère » « L’Eglise aura toujours à se ressourcer, à revenir à l’école du Christ pour apprendre à aimer comme lui » (E. Grieu, Jésuite).

1) St Paul nous éclaire : « Dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la connaissance vraie et la parfaite clairvoyance qui vous feront discerner ce qui est plus important Ainsi, dans la droiture, vous marcherez sans trébucher vers le jour du Christ ». Pour aimer, il faut se connaître soi-même. Connaître au fond de soi ses forces, ses faiblesses, ses fragilités et savoir d’où elles viennent pour mieux connaître l’autre, mon alter ego, qui porte en lui ses fragilités de façon différente. Quelle exigence qui oblige à ne pas se mentir et à être sans concession avec soi-même ! J’ai envie de progresser et d’aimer mieux les autres, de les respecter davantage, mais je ne supporte pas qu’on me contredise. Se remettre en cause et agir sur cette faiblesse, c’est vivre une conversion. Il me faudra du temps, de la volonté et les conseils de mes frères qui me confieront leur expérience. Nous ne sommes jamais seuls en Eglise. Mais quelles richesses à partager qui aident à se construire, à avancer dans la vie, dans la foi ! Se connaître soi-même me permet de respecter mon frère comme j’aime être respecté, de l’aimer comme j’aime être aimé. « Ne fais jamais aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse ». Cela me permet de discerner le bien du mal et dans le bien, de choisir la solution qui semble la meilleure, celle qui préservera à la fois la paix et le respect que je dois à mes frères. St Paul ajoute : « Vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous par amour au service des autres. ». Cela fait de nous des êtres entièrement responsables de nos actes qu’il faut assumer. Celui qui agit et rend les autres responsables de ses actes quand ils sont répréhensibles est prisonnier de sa lâcheté. Selon St Paul, c’est faire le bien qui rend libre et c’est cette liberté-là qui rend heureux. « Etre libre, c’est être capable de faire des choix » St Augustin. La fraternité est un choix et c’est un vrai travail de devenir frères : un travail sur soi d’abord pour apprendre à connaître l’autre, mon frère, et à l’aimer. Et seuls ceux qui s’y engagent en vérité peuvent, au-delà de leurs épreuves, témoigner du bonheur indicible que procure cette volonté d’aimer comme le Christ nous l’enseigne.

2) Monseigneur Ulrich écrit : « La bienveillance permanente de Dieu à notre égard appelle la nôtre en retour à l’égard des autres… Il faut demander au Seigneur de changer de regard, non pas un regard dur sur les autres, un regard de jugement, un regard de domination mais un regard de bonté, de tendresse, de supplication, de pardon. C’est plus facile de dominer, de juger que d’écouter, de patienter, de faire confiance ». Je domine mon frère et lui manque de respect chaque fois que je refuse de l’écouter, chaque fois que j’entends sa parole mais que je n’en tiens pas compte parce qu’elle me dérange et ne va pas dans le sens de mes intérêts, chaque fois que je refuse de répondre aux questions qu’il me pose parce qu’elles m’obligeraient à me remettre en cause et mon orgueil ne le supporterait pas. Le silence que je lui impose alors est violent et témoigne de ma mauvaise foi. Je domine mon frère chaque fois que j’impose mes idées, mes décisions et que je ne supporte pas qu’il puisse penser ou agir autrement. La bienveillance, c’est avoir envie d’écouter mon frère pour apprendre à le connaître tout en l’acceptant tel qu’il est et en lui faisant confiance. Parce que j’éprouve de l’affection pour mon frère, parce que je lui fais confiance, son expérience et son avis m’intéressent. Je sais qu’il est le seul à détenir la vérité sur ses intentions, sur ses choix, sur ses actes ; le seul à être capable de m’en informer, et s’il ne triche pas, qu’il est sincère, c’est qu’il me fait confiance aussi. Communiquer est un acte de confiance dans lequel chacun s’engage dans une parole qui traduit ses convictions. Et si la rumeur m’a fait douter de lui, je me réjouis de m’être trompé. Etre bienveillant, c’est aussi lui montrer que j’ai besoin de lui, qu’il a de l’importance à mes yeux, que sa présence me fait plaisir et que sa parole m’interpelle: celle que j’aime entendre et me fait plaisir, celle que je n’ai pas envie d’entendre mais que j’écoute parce que les intérêts de mon frère sont plus importants que les miens, celle qui me fait réfléchir parce qu’elle me remet en cause ou parce que je ne suis pas d’accord avec elle. Une vraie communication peut alors s’engager et le partage dans la bienveillance prend tout son sens.

Notre évêque ajoute : « La miséricorde, c’est la tendresse de Dieu pour nous et notre tendresse à l’égard des autres. La tendresse, c’est l’expérience de celui qui se laisse toucher par les émotions qui viennent des autres ; leurs peines nous touchent, leurs joies nous touchent et nous nous rendons proches… ». Se laisser interpeller, se laisser toucher en n’oubliant jamais que les fragilités de mon frère ne sont pas les miennes, que ce qui est important pour lui ne l’est pas forcément pour moi. Cela veut dire par exemple que ce qui est un sujet de de souffrance pour lui ne l’est pas forcément pour moi mais que, sans porter de jugement, se faire proche de lui dans le partage par des paroles vraies, par une écoute attentive pour le comprendre, c’est témoigner de ma volonté de lui faire du bien et de garder le lien. Se faire d’autant plus proche de lui lorsque ce sont mes paroles ou mes décisions qui l’ont blessé. Elles ont peut-être dépassé ma pensée sous l’effet de la colère et je m’en repens. Et si elles n’ont pas été comprises, je m’en explique. C’est une question de respect de l’autre, d’honnêteté.

3) St Matthieu dit : « Si ton frère a péché contre toi, va lui parler, s’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes… S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l’Eglise ; s’il refuse d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen ». Nous sommes tous responsables les uns des autres et nous avons tous à veiller les uns sur les autres. Quelle que soit notre fonction ou notre place dans l’Eglise, nous n’avons le droit ni de juger nos frères, ni de les condamner, ni de les exclure. Ce serait de l’intolérance. Mais nous avons le droit de porter un jugement sur leurs actes. Ma liberté, c’est de pouvoir dire ce que je ressens et ce que je pense des décisions que mon frère a prises et je peux me mettre en colère quand elles menacent la paix ou qu’elles sont injustes. Alors, parce que j’aime mon frère, je m’inquiète pour lui, je cherche à comprendre, je le mets en garde, tente de lui ouvrir les yeux sur les conséquences malheureuses de ses actes, sur ses manques d’amour et sur le mal qu’il fait. L’aimer ce n’est pas faire semblant de lui donner raison pour ne pas faire de vagues et c’est encore moins de feindre l’indifférence. Etre tolérant, c’est penser que chaque être est unique, qu’il réagit en fonction de sa propre histoire, de son vécu et non comme j’aurais voulu le voir réagir ou comme je l’avais décidé pour lui. La tolérance me donne le droit d’ouvrir les yeux de mon frère sur ses erreurs. C’est accepter aussi qu’il m’éclaire sur mes propres erreurs et je lui suis alors reconnaissant..

4) Le Pape François a écrit : « Les fonctions dans l’Eglise ne justifient aucune supériorité des uns sur les autres ». La fraternité ne souffre pas la supériorité de l’un sur l’autre. C’est le mépris qui guide mon frère quand il se donne tous les droits, comme celui « d’imposer ses idées à n’importe quel prix », en donnant « de la place à la calomnie, à la division » Pape François. Parce qu’il nous faut reconnaître que nous sommes égaux, parce que nous aimons nos frères et que nous avons mal quand l’un d’entre nous n’est pas respecté, nous devons être capables ensemble de nous remettre en cause les uns les autres avec bienveillance, respect et confiance, pour nous aider à grandir mutuellement, à la lumière de l’expérience de chacun, jamais pour donner une leçon, pour juger, pour humilier, rabaisser ou détruire. Quel bonheur d’avoir réussi à se comprendre, d’avoir surmonté nos différends dans la concertation même s’il faut faire des concessions! Quel bonheur de témoigner envers et contre tout de nos convictions même s’il faut en payer le prix ! « Ils m’ont persécuté et vous persécuteront aussi en mon nom. Bénissez ceux qui vous persécutent, souhaitez- leur et faites-leur du bien et non pas du mal ».

5) Le Pape François : « L’Amour a besoin de la Vérité et la Vérité a besoin de l’Amour ». Aimer en vérité, c’est faire passer la vérité avant ma propre opinion, en me méfiant de la rumeur toujours malsaine et négative, des médisances qui sont des jugements hâtifs et sans fondements, des apparences trompeuses, des 1ères impressions souvent fausses. C’est tellement facile de suivre la rumeur surtout si elle sert mes intérêts personnels ! Mais elle détruit mon frère qui se sent trahi et souffre de n’avoir pas été écouté et respecté. « Si tu parles mal de ton frère, tu le tues. En jugeant ainsi, les hommes s’arrêtent au superficiel alors que le Père regarde les cœurs » Pape F. Communiquer en vérité, c’est dire ce que l’on ressent, ce que l’on pense, ce que l’on fait et pourquoi on le fait… ce n’est pas forcément avoir raison et se tromper est humain. Le reconnaître est une marque de respect vis à vis de ceux que j’ai floués qui reconnaîtront là une attitude qui force au respect. Ce n’est pas toujours très agréable de se remettre en question, de se laisser interpeller par les autres, c’est tellement plus facile de s’accrocher à ses certitudes ! Pourtant, reconnaître ses erreurs, ce n’est pas perdre la face devant les autres. Cela voudrait dire qu’on est la victime et que les autres sont vainqueurs. Il n’y a pas de bataille à gagner, l’autre est mon frère, il est mon égal, il est pécheur aussi. La fraternité ne souffre pas ce rapport de force. Nous grandissons en humanité chaque fois que nous éprouvons des regrets et que nous nous excusons pour nos erreurs, chaque fois que nous sommes reconnaissants, chaque fois que nous partageons les joies et les peines des autres, chaque fois que nous agissons avec humilité, dans la confiance et en vérité., chaque fois que nous acceptons de nous remettre en cause pour apprendre à aimer.

6) « Vivre la fraternité, c’est s’engager dans une relation à construire. C’est consentir à entrer en alliance, une alliance marquée par les inattendus de la vie, ceux de la proximité réelle, les inattendus de l’Esprit. Vivre la fraternité nous appelle à la responsabilité en réponse à cette question : qu’as- tu fait de ton frère ? » Ml Denes.

Geneviève Cuvelier et quelques chrétiens engagés dans l’Eglise