Vocation et diaconie
Vocation et Diaconie
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« Entrer en diaconie ne signifie pas d’abord « désigner la pauvreté chez les autres » mais à « se reconnaître soi-même comme pauvre »[1].
Comment cette volonté de Dieu sur moi, issue de ma rencontre personnelle dans la communion de mon désir et de mon consentement au désir de Dieu sur moi, peut-elle s’inscrire dans une mission de service au monde ?
« La réponse de Jésus est claire : je suis le prochain de celui auquel je témoigne de l’amour, de celui avec qui je recrée du lien social »[2], du lien d’amitié.
C’est l’une des tensions que l’on retrouve dans le travail social institutionnalisé. Repérer les besoins de la personne en fragilité en essayant d’y apporter une réponse, repérer les conséquences de la pauvreté en essayant de les endiguer mais rares sont les démarches qui consistent à œuvrer aux niveaux des causes cachées ou indirectes de la pauvreté.
Diakonos dans la Grèce antique signifiait l’esclave et diakonia : la corvée. La diaconie nous place au cœur du monde. Pour nous chrétiens, la diaconie c’est entrer au cœur du monde dans la mission du Christ serviteur : « le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » ... Mt 20, 28
« Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » Mt 25,40
Il ne s’agit de reconnaître dans celui qui est fragile la personne même du Christ, de reconnaître qu’il y a en chacun de nous une dignité qui surpasse tout ce que nous pouvons dire ou faire. C’est la personne, en elle-même, qui est digne de soin et d’attention. Le Père voit en chacun de nous l’image de son fils, cette image qui n’est en rien altérée par les déconvenues et les circonstances de la vie.
Nous pensons de suite aux exclus de nos sociétés : les migrants, les personnes à la rue, les personnes privées de liberté en prison, les personnes sans emploi, les personnes atteintes de maladies physiques et/ou psychiques, les personnes qui sont marqués par l’échec, le dénuement… par les malheurs de la vie, tous ceux qui ont immensément besoin de se sentir aimé au cœur même de la tempête.
Je pense que nous pouvons élargir notre vision du « petit », du « pauvre ». Les pauvres dans la bible ce sont « les anawim, littéralement les « courbés », à l’époque de Jésus, les anawim étaient des gens déshérités sur le plan économique et social, mais qui étaient aussi très religieux. « Cette humilité de condition avait souvent pour corollaire une humilité de cœur », explique le bibliste protestant Charles L’Eplattenier.
Aussi les anawim sont-ils ceux qui, le plus ardemment, « attendent la consolation d’Israël » (Luc 2,25). Ils sont ceux qui n’ont plus que Dieu pour richesse, qui sont affamés de Dieu. C’est pourquoi ils sont les premiers à qui est annoncée la Bonne Nouvelle. « Heureux vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous », affirme Jésus sur le mont des Béatitudes. »
L’anaw est celui qui crie vers Dieu, celui qui a mal et qui tourne son regard et son espérance vers celui qui entend le cri et y répond. C’est celui qui est dépendant et en confiance. « Ta foi est grande » dira Jésus à la femme hémorroïsse. Mc 5,34.
Jésus s’identifie aux petits, aux pauvres, aux miséreux, c’est à dire à chacun de nous. Jésus est le petit et le pauvre par excellence car il se reçoit totalement du Père et, ce, indépendamment des circonstances qui l’environnent.
Le pauvre, le petit, c’est moi, c’est toi qui me lit, c’est chacun de nous dans nos lieux de souffrance, de tristesse et de douleurs, c’est aussi celui qui va bien, qui n’est touché par aucun malheur de la vie mais qui sent dans son cœur que la joie qui l’habite est un don qui est lui est donné et qui devient source de louange et de gratitude pour le donateur.
Le pauvre, c’est Dieu lui-même qui mendie notre amour, qui ne cesse de guetter l’homme qui consentira à se tourner vers lui par la foi. « Le Christ, de riche qu’il était se fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (2 co 8,9), c’est à dire qu’il veut nous faire entrer dans sa relation d’intimité, de dépendance et de confiance avec le Père.
Quand Jésus parle des petits en Matthieu 25, cela s’inscrit dans le cadre du jugement dernier. Ce jugement appartient au Père, même Jésus ne connaît ni le jour ni l’heure et il est venu, non pour nous juger, mais pour nous sauver et nous montrer le chemin du retour au Père.
Elle attend juste une rencontre, une attention qui lui permet d’être Sujet.
Le non jugement est source d’une guérison profonde de nos cœurs. Ne pas jugez est un raccourci qui conduit au pardon des péchés si cette parole est vraie : « ne jugez pas pour ne pas être jugé » Mt 7,1.[4]De cela nous avons à témoigner et à vivre dans les services des frères qui sont appelés à faire la même expérience et à témoigner à leur tour de cette vérité. Le non jugement sur soi et sur l’autre est un des fondements de la diaconie. C’est une grâce à demander instamment et sans cesse.
Jésus n’est donc pas en train de faire l’apologie de la pauvreté qui reste en soi à combattre mais bien de dire : « Je suis présent dans le cœur de chaque homme, j’habite en lui avec mon Père, » chaque personne est le temple où réside la puissance de l’Esprit. Alors, si l’un d’entre vous est dans le besoin, venez lui en aide car « Je Suis » est présent dans cet autre qui peut aller jusqu’à vous rebuter. Il ne s’agit pas de porter seul toute la misère du monde, mais d’être attentif à l’autre différent.
Il s’agit d’apprendre à aimer l’autre souffrant en soi pour le faire sortir de sa souffrance. Ce dernier peut rester très longtemps en situation d’exilé au plus profond de notre être. Nous pouvons passer notre vie à le fuir tant il est souffrant en nous et à faire souffrir notre prochain de notre propre souffrance non reconnue et non guérie.
Il est de notre responsabilité d’aller à la rencontre du « pauvre » en nous, d’aller à la rencontre de « l’exilé », du « migrant » en nous pour lui dire combien il est aimé par « Je », par le Sujet en moi qui lui-même se sait aimé du Père et sauvé par le Christ. Le « je » en moi, ou pour le dire autrement, l’image de Dieu en moi, peut se manifester aux parties blessée en moi comme qualité d’énergie : la compassion, la curiosité, le courage, le calme, la joie, la paix, la confiance, la connexion, le sens de la perspective, la patience, la persévérance.
Jésus dira même que nous pouvons faire bien plus que lui dans l’ordre des œuvres de miséricorde : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais : il en fera même des plus grandes, parce que je vais au Père ». Jn 14, 12
Le service de l’autre, comme mission chrétienne, s’inscrit donc dans la reconnaissance de l’image de Dieu en soi et en l’autre, dans la reconnaissance de ma propre vulnérabilité et fragilité comme lieu de dialogue et de rencontre possible avec l’autre différent.
C’est dans la reconnaissance et la rencontre de ces fragilités communes en humanité bien que distinctes dans le présent de nos situations personnelles, que peut se vivre le service, la diaconie telle que Jésus est venue nous la révéler.
Je pense que l’expression de nos charismes n’est pas d’abord dans le vouloir faire, mais bien dans le vouloir être avec, dans l’écoute de ce que provoque la rencontre de l’autre en moi, en résonance avec mon propre désir, d’être attentif à l’autre pour sentir ce qu’il vient réveiller au plus profond de moi et ainsi mettre en œuvre un agir qui pourra s’inscrire et se déployer dans l’ordre de ma vocation au service d’une mission singulière qui répondra à un appel particulier.La diaconie, le service au monde selon le cœur de Dieu devient alors le lieu où je suis avec l’autre avant de faire pour lui.
[1] L’ordre du jour de la diaconie hier et aujourd’hui, Jean-François Zorn.